«J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate. ». Extrait d’une lettre écrite par Victor Hugo après le sac du Palais d’été le 6 octobre 1860, ce petit passage introduit parfaitement notre propos. Hugo y décrit et y critique avec véhémence la décision prise par la France et l’Angleterre de mettre à sac une « merveille du monde». Hugo y montre aussi assez bien le décalage, à cette époque, entre les deux cultures et la différence de perception que cela engendrait. L’auteur y décrit une Chine vidée, battue, et humiliée par la destruction de son palais. Mais il y dépeint aussi une Chine merveilleuse, riche de culture et attractive. Déplaçons-nous maintenant aux perceptions actuelles que nous avons de la Chine. Dans notre monde contemporain la Chine fait figure d’épouvante lorsque l’on l’évoque. Première puissance économique, démographique et jouissant d’un espace géographique conséquent, la Chine fait peur. Par ses ambitions, de la mer de Chine à l’Afrique en passant par les Nouvelles Routes de la Soie, les chinois sont présents presque partout sur le globe. Pire encore, la Chine est agressive, avec son armée et son hard power, elle fait pression et déplace ses pions partout où elle a des intérêts. Alors pourquoi alors est-elle devenue si véhémente et agressive ? Pouvons-nous trouver des réponses à travers son histoire contemporaine ?
![](https://panoramafr2021.wordpress.com/wp-content/uploads/2022/07/image-3.png?w=600)
Ce que beaucoup de journalistes, commentateurs, voire même de politiques ne comprennent pas, c’est que nous sommes un petit peu responsable de cette Chine-là, avec ses ambitions et les craintes qu’elles génèrent. Ce sont nos pays, par leurs idéologies, opinions et politiques, qui ont en partie concouru à façonner la Chine que nous connaissons aujourd’hui. Alors certes, l’approche historique n’explique qu’en partie l’agressivité (extérieure) chinoise. Des raisons plus contemporaines existent, par exemple la nécessité de trouver des ressources pour satisfaire la demande intérieure. Pour autant, l’approche historique a le mérite de mettre en lumière les motivations actuelles de la Chine et de faire ressortir un passé marqué de son humiliation par les Occidentaux. C’est cette histoire qu’il nous importe de raconter et pour cela il nous faut remonter jusqu’au XIXème siècle ; plus communément appelé « le siècle des humiliations » dans l’histoire de l’Empire du Milieu.
Ce qui est paradoxal dans l’histoire de la Chine, c’est qu’au début du XIXème siècle, sa renommée est totale. Sous la dynastie des Qing, les chinois ont acquis leur immense territoire, du Tibet à Taïwan en passant par le Xinjiang (extrême nord-ouest). Cette dynastie, qui dura de 1644 à 1911, et même si elle fut challengée de l’intérieur (par de nombreuses rebellions) et de l’extérieur (par les Mongols notamment), n’a pas cessé de faire rayonner la Chine sur le plan culturel. Et c’est surtout dans ces domaines-là que les chinois ont attiré vers eux les puissances venues d’Occident. Admirée pendant des siècles par les européens, pour sa philosophie et ses arts, prisée pour ses « chinoiseries », bibelots et porcelaines, et enviée pour son ingéniosité, en témoigne la Grande Muraille, la Chine était en ce début de siècle, une plateforme commerciale pour les commerçants venus du monde entier. Cette plateforme était limitée et se résumait au seul port de Guangzhou (aussi appelé « Canton ») que les Qing contrôlait et où les plus sévères juridictions s’appliquaient même aux étrangers.
En l’espace de un siècle, entre 1839 et 1945, la Chine va être balayée par une série de guerres, puis de traités, qui vont considérablement l’affaiblir. Au cours de cette période, qui verra se succéder à partir de 1911 plusieurs régimes, les puissances étrangères vont tirer profit de la Chine, pomper une bonne partie de ses ressources, contrôler son espace portuaire et réduire son armée à néant. La première guerre de l’opium constitue ici le début des humiliations. Entre 1839 et 1842, les Qing furent opposés aux anglais, qui mécontents que la Chine impose ses propres lois, avaient trouvé le bon prétexte pour déclencher une guerre, dominer les Qing, et les forcer à ouvrir plus de ports au commerce. En effet, les Qing, conscients de la dangerosité d’un trafic d’opium à outrance, avaient décidé d’agir face à ce fléau. Tout en demandant l’arrêt de ce commerce aux anglais, les chinois procédèrent à de vastes opérations de destruction d’opium. Battus ensuite, ils durent se soumettre au dictat anglais. La libéralisation et l’ouverture forcée de l’espace économique chinois s’étaient matérialisées par l’humiliation du traité de Nankin, qui endetta la Chine pendant de nombreuses années. S’en suivi ensuite la deuxième guerre de l’opium qui, entre 1856 et 1860, de nouveau opposa les anglais aux chinois pour une affaire de trafic d’opium. Cette fois-ci, les français se joignirent aux anglais et participèrent notamment à une coalition qui mettra en déroute les Qing, et qui parviendra à prendre Pékin. Lors de cette expédition, la coalition brulera notamment le fameux et mythique Palais d’été, ce qui d’ailleurs lui attira les foudres de Victor Hugo. Ensuite, entre 1894 et 1895, la Chine fut défaite par les Japonais dans le première guerre sino-japonaise. Liée à l’instabilité en Corée, les Japonais mirent rapidement sous influence les coréens et défirent facilement l’armée des Qing. De nouveau affaiblis par un traité inégal, celui de Shimonoseki, les Qing vont alors plonger dans de graves troubles internes, tout en devant de plus en plus impopulaires. Mais, aux yeux de la population chinoise les étrangers étaient devenus encore plus impopulaires. Appauvris, considérés comme des sous-hommes à civiliser, et humiliés par des politiciens corrompus et incapables de faire régner la souveraineté chinoise sur son sol, les chinois vont réagir. La révolte des Boxers, contre les cléricaux ou encore la révolution du 4 mai 1919 contre la trahison des européens, en sont les symboles.
![](https://panoramafr2021.wordpress.com/wp-content/uploads/2022/07/image-4.png?w=685)
A la veille de la première guerre mondiale, une grande partie des pays européens possédaient un ou plusieurs comptoirs en Chine. Les gouvernement chinois, particulièrement bousculés et maladroits, n’ont jamais réussi à se faire respecter par les étrangers. La Chine était devenue un saloon où chaque pays venait faire ses affaires selon ses envies. L’impunité, dégagée par les européens lors de l’affaire des Boxers est particulièrement criante. Lorsque de pauvres paysans et ouvriers de la province de Shandong se révoltèrent, et embrasèrent les provinces alentours, les nations européennes, avec les États-Unis, le Japon et l’Australie, lancèrent une coalition pour défaire les Qing. Qing qui soutènement officiellement cette révolte mais qui eurent été impuissants face aux armadas ennemis. En 1919, à la fin de la guerre et alors que la Chine s’était engagée au côté de la Triple Entente en espérant récupérer les comptoirs allemands sur son territoire, le traité de Versailles va trahir ses espérances et provoquer le mouvement du 4 mai 1919. Se sentant à nouveau humiliée, la jeune génération chinoise va alors descendre place Tiananmen pour montrer sa colère.
Enfin, l’envahissement par le Japon de la Manchourie (en 1931) et la soumission des chinois pendant près huit ans, (de 1937 à 1945) va matérialiser et concrétiser le siècle des humiliations. Durant l’occupation, et même si une certaine résistance va s’organiser, les japonais furent féroces, en témoigne le massacre de Nankin en décembre 1937. De plus, les forces gouvernementales, incapables de suivre les avancées technologiques et militaires occidentales, furent à nouveaux battues. Le Guomindang, parti politique nationaliste qui gouvernait alors le pays, dut rentrer dans la clandestinité : il sera vaincu en 1949 par les communistes.
En réalité, il est compliqué d’énumérer la totalité des escarmouches et rixes qui ont opposé chinois et étrangers. Ce qu’il faut retenir c’est que, avec la RPC et la stabilisation interne (qui n’est pas « bonne » moralement) de la Chine, les chinois ont enfin eu l’opportunité de s’affirmer face aux pays occidentaux. Sauf que cette affirmation, et c’est là ma thèse, se fait sur fond de ressentiment, de vengeance, avec une certaine amertume. La Chine est désormais agressive, exponentielle, affamée presque. Son armée se développe, et n’hésite pas à se confronter à d’autres (le cas de la mer de Chine est particulièrement frappant). Le recul dans la région des grandes puissances coloniales, avec notamment la défaite française et américaine au Vietnam (anciennement Indochine), a laissé porte ouverte à la Chine pour dominer la région. Et, depuis la création de la RPC en 1949, les chinois ne cessent d’augmenter leurs capacités militaires et économiques. Pour conclure nous pourrions dire que la Chine n’a « plus » peur, elle n’est plus soumise ; c’est elle qui fait peur et cherche à soumettre, et nous n’en sommes pas totalement étrangers.