Histoire : pourquoi la Chine est-elle si agressive ? 

«J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate. ». Extrait d’une lettre écrite par Victor Hugo après le sac du Palais d’été le 6 octobre 1860, ce petit passage introduit parfaitement notre propos. Hugo y décrit et y critique avec véhémence la décision prise par la France et l’Angleterre de mettre à sac une « merveille du monde». Hugo y montre aussi assez bien le décalage, à cette époque, entre les deux cultures et la différence de perception que cela engendrait. L’auteur y décrit une Chine vidée, battue, et humiliée par la destruction de son palais. Mais il y dépeint aussi une Chine merveilleuse, riche de culture et attractive. Déplaçons-nous maintenant aux perceptions actuelles que nous avons de la Chine. Dans notre monde contemporain la Chine fait figure d’épouvante lorsque l’on l’évoque. Première puissance économique, démographique et jouissant d’un espace géographique conséquent, la Chine fait peur. Par ses ambitions, de la mer de Chine à l’Afrique en passant par les Nouvelles Routes de la Soie, les chinois sont présents presque partout sur le globe. Pire encore, la Chine est agressive, avec son armée et son hard power, elle fait pression et déplace ses pions partout où elle a des intérêts. Alors pourquoi alors est-elle devenue si véhémente et agressive ? Pouvons-nous trouver des réponses à travers son histoire contemporaine ?

Sac du palais d’été (1860)

Ce que beaucoup de journalistes, commentateurs, voire même de politiques ne comprennent pas, c’est que nous sommes un petit peu responsable de cette Chine-là, avec ses ambitions et les craintes qu’elles génèrent. Ce sont nos pays, par leurs idéologies, opinions et politiques, qui ont en partie concouru à façonner la Chine que nous connaissons aujourd’hui. Alors certes, l’approche historique n’explique qu’en partie l’agressivité (extérieure) chinoise. Des raisons plus contemporaines existent, par exemple la nécessité de trouver des ressources pour satisfaire la demande intérieure. Pour autant, l’approche historique a le mérite de mettre en lumière les motivations actuelles de la Chine et de faire ressortir un passé marqué de son humiliation par les Occidentaux. C’est cette histoire qu’il nous importe de raconter et pour cela il nous faut remonter jusqu’au XIXème siècle ; plus communément appelé « le siècle des humiliations » dans l’histoire de l’Empire du Milieu.

Ce qui est paradoxal dans l’histoire de la Chine, c’est qu’au début du XIXème siècle, sa renommée est totale. Sous la dynastie des Qing, les chinois ont acquis leur immense territoire, du Tibet à Taïwan en passant par le Xinjiang (extrême nord-ouest). Cette dynastie, qui dura de 1644 à 1911, et même si elle fut challengée de l’intérieur (par de nombreuses rebellions) et de l’extérieur (par les Mongols notamment), n’a pas cessé de faire rayonner la Chine sur le plan culturel. Et c’est surtout dans ces domaines-là que les chinois ont attiré vers eux les puissances venues d’Occident. Admirée pendant des siècles par les européens, pour sa philosophie et ses arts, prisée pour ses « chinoiseries », bibelots et porcelaines, et enviée pour son ingéniosité, en témoigne la Grande Muraille, la Chine était en ce début de siècle, une plateforme commerciale pour les commerçants venus du monde entier. Cette plateforme était limitée et se résumait au seul port de Guangzhou (aussi appelé « Canton ») que les Qing contrôlait et où les plus sévères juridictions s’appliquaient même aux étrangers.

En l’espace de un siècle, entre 1839 et 1945, la Chine va être balayée par une série de guerres, puis de traités, qui vont considérablement l’affaiblir. Au cours de cette période, qui verra se succéder à partir de 1911 plusieurs régimes, les puissances étrangères vont tirer profit de la Chine, pomper une bonne partie de ses ressources, contrôler son espace portuaire et réduire son armée à néant. La première guerre de l’opium constitue ici le début des humiliations. Entre 1839 et 1842, les Qing furent opposés aux anglais, qui mécontents que la Chine impose ses propres lois, avaient trouvé le bon prétexte pour déclencher une guerre, dominer les Qing, et les forcer à ouvrir plus de ports au commerce. En effet, les Qing, conscients de la dangerosité d’un trafic d’opium à outrance, avaient décidé d’agir face à ce fléau. Tout en demandant l’arrêt de ce commerce aux anglais, les chinois procédèrent à de vastes opérations de destruction d’opium. Battus ensuite, ils durent se soumettre au dictat anglais. La libéralisation et l’ouverture forcée de l’espace économique chinois s’étaient matérialisées par l’humiliation du traité de Nankin, qui endetta la Chine pendant de nombreuses années. S’en suivi ensuite la deuxième guerre de l’opium qui, entre 1856 et 1860, de nouveau opposa les anglais aux chinois pour une affaire de trafic d’opium. Cette fois-ci, les français se joignirent aux anglais et participèrent notamment à une coalition qui mettra en déroute les Qing, et qui parviendra à prendre Pékin. Lors de cette expédition, la coalition brulera notamment le fameux et mythique Palais d’été, ce qui d’ailleurs lui attira les foudres de Victor Hugo. Ensuite, entre 1894 et 1895, la Chine fut défaite par les Japonais dans le première guerre sino-japonaise. Liée à l’instabilité en Corée, les Japonais mirent rapidement sous influence les coréens et défirent facilement l’armée des Qing. De nouveau affaiblis par un traité inégal, celui de Shimonoseki, les Qing vont alors plonger dans de graves troubles internes, tout en devant de plus en plus impopulaires. Mais, aux yeux de la population chinoise les étrangers étaient devenus encore plus impopulaires. Appauvris, considérés comme des sous-hommes à civiliser, et humiliés par des politiciens corrompus et incapables de faire régner la souveraineté chinoise sur son sol, les chinois vont réagir. La révolte des Boxers, contre les cléricaux ou encore la révolution du 4 mai 1919 contre la trahison des européens, en sont les symboles.

Représentation de la Chine et des Européens dans la presse occidentale

A la veille de la première guerre mondiale, une grande partie des pays européens possédaient un ou plusieurs comptoirs en Chine. Les gouvernement chinois, particulièrement bousculés et maladroits, n’ont jamais réussi à se faire respecter par les étrangers. La Chine était devenue un saloon où chaque pays venait faire ses affaires selon ses envies. L’impunité, dégagée par les européens lors de l’affaire des Boxers est particulièrement criante. Lorsque de pauvres paysans et ouvriers de la province de Shandong se révoltèrent, et embrasèrent les provinces alentours, les nations européennes, avec les États-Unis, le Japon et l’Australie, lancèrent une coalition pour défaire les Qing. Qing qui soutènement officiellement cette révolte mais qui eurent été impuissants face aux armadas ennemis. En 1919, à la fin de la guerre et alors que la Chine s’était engagée au côté de la Triple Entente en espérant récupérer les comptoirs allemands sur son territoire, le traité de Versailles va trahir ses espérances et provoquer le mouvement du 4 mai 1919. Se sentant à nouveau humiliée, la jeune génération chinoise va alors descendre place Tiananmen pour montrer sa colère.

Enfin, l’envahissement par le Japon de la Manchourie (en 1931) et la soumission des chinois pendant près huit ans, (de 1937 à 1945) va matérialiser et concrétiser le siècle des humiliations. Durant l’occupation, et même si une certaine résistance va s’organiser, les japonais furent féroces, en témoigne le massacre de Nankin en décembre 1937. De plus, les forces gouvernementales, incapables de suivre les avancées technologiques et militaires occidentales, furent à nouveaux battues. Le Guomindang, parti politique nationaliste qui gouvernait alors le pays, dut rentrer dans la clandestinité : il sera vaincu en 1949 par les communistes.

En réalité, il est compliqué d’énumérer la totalité des escarmouches et rixes qui ont opposé chinois et étrangers. Ce qu’il faut retenir c’est que, avec la RPC et la stabilisation interne (qui n’est pas « bonne » moralement) de la Chine, les chinois ont enfin eu l’opportunité de s’affirmer face aux pays occidentaux. Sauf que cette affirmation, et c’est là ma thèse, se fait sur fond de ressentiment, de vengeance, avec une certaine amertume. La Chine est désormais agressive, exponentielle, affamée presque. Son armée se développe, et n’hésite pas à se confronter à d’autres (le cas de la mer de Chine est particulièrement frappant). Le recul dans la région des grandes puissances coloniales, avec notamment la défaite française et américaine au Vietnam (anciennement Indochine), a laissé porte ouverte à la Chine pour dominer la région. Et, depuis la création de la RPC en 1949, les chinois ne cessent d’augmenter leurs capacités militaires et économiques. Pour conclure nous pourrions dire que la Chine n’a « plus » peur, elle n’est plus soumise ; c’est elle qui fait peur et cherche à soumettre, et nous n’en sommes pas totalement étrangers.

L’attachement à sa terre : véritable maxime ou phrase bateau ?

À la Une

Par tous les temps et tous les âges, les gens parlent de l’attachement à la terre. Ils en parlent parfois comme d’un fait précis, qui s’impose à nous en toutes circonstances, parfois comme quelque chose de vague, qui renvoie à des sentiments divers et variés. A travers ma propre réflexion, je vous propose de réfléchir sur le sens de cette maxime, sur le lien entre l’attachement à notre terre et notre vie singulière et individuelle.

En voyageant, en découvrant de nouveaux espaces, il m’est souvent arrivé de me demander, avec incompréhension et empathie, comment était-il possible que des gens puissent y habiter et y prospérer. Le calme parfois angoissant d’une campagne trop tranquille, ou bien le bourdonnement assourdissant d’une ville, ont souvent suscité mon questionnement. Comment est-il possible de vivre là ? Sans avoir à pousser une réflexion encore trop enfantine, cette sensation, de pitié parfois, de tristesse quelquefois, revenait sans cesse lorsque je parcourais les routes de France et de Navarre avec mes parents. Parfois même, je la ressentais alors que nous n’étions pas très loin de mon village natal. Cette sensation est réapparue quand, avec mes amis, nous roulions seuls dans les fjords islandais. Un jour alors, je me suis demandé ce que les voyageurs chanceux pensaient lorsque qu’ils en venaient à traverser mon village d’enfance. Ressentaient-ils la même émotion ? Ce village, avec sa petite église romane, son camping et sa salle des fêtes, est l’archétype parfait du village français : très tranquille. Alors, je me suis mis à la place de ces voyageurs, et je me suis dit que le calme plat et doux de mon village, n’avait au fond rien d’attirant. Qui voudrait être bien fou pour habiter cette terre et y prospérer ? Et alors je me suis rappelé que cette terre, c’était la mienne, que j’y avais passé mon enfance, à grimper dans les arbres et à gambader dans la forêt. Même s’il faut dire que l’adolescence n’y est pas la plus facile à vivre, ce bout de terre, était et restera à jamais, l’endroit où je me suis construit en tant qu’être humain. J’y resterai donc toujours attaché et j’aurai fierté à la présenter à mes petits-enfants. Je repris donc ma réflexion et en mêlant à la fois, le regard que je porte sur mon village tranquille, où il est compliqué d’entretenir une vie sociale active (pour un jeune de mon âge), avec le sentiment profond d’un attachement inconditionnel à cette terre, que je compris que peu importe le regard que l’on porte à sa ville ou à son village natal, quelque chose, presque invisible, nous ramène toujours à lui.

L’attachement à sa terre est-il simplement un fait, immuable et précis, qui nous rattache sans cesse à nos origines ou est-ce quelque chose aléatoire et qui se construit avec le temps et la conscience ? C’est sans doute un mélange des deux. Je crois profondément que nous sommes liés, par notre enfance et nos aïeuls, à la terre qui nous a vu grandir. Nos souvenirs de gosse, notre première école, notre premier amour, tout y est. Cet espace, parfois pas bien grand et étendu, parfois bruyant et effervescent, est notre essence. De plus, il n’est pas rare qu’un de nos parents y ait vécu, et même que nos ancêtres y aient fait étape. Alors oui, je pense qu’il y a quelque chose d’inexplicable quant à notre relation avec nos origines. C’est comme s’il y avait un contrat, un lien, entre notre passé familial et notre futur. Quelque chose qui nous tient et nous ramène inexorablement vers notre terre. Ce quelque chose, presque métaphysique, parfois inexplicable tant on a souvent besoin de changement, tant on a parfois tendance à en énumérer ses défauts, mais qui nous rappelle sans cesse et où que l’on soit, que nous sommes d’ici et pas d’ailleurs. Pour autant pouvons-nous affirmer que ces liens invisibles sont d’une même puissance pour tous les êtres humains ? Il serait sans doute trop ambitieux de tomber dans un déterminisme exclusif, qui ferait que qui que l’on soit, nous serions liés à notre terre avec les mêmes degrés d’intensité. D’autant plus que si ces contrats existaient pour chacun, rien ne nous dit qu’ils aient été conçus de la même manière. Tout le monde ne vit pas ou n’a pas grandi là où ses parents et grands-parents ont vécu. Tous n’ont pas eu une enfance fixe. Dans ce cadre-là, l’attachement à sa terre peut, peut-être, être comprise comme résultant d’une construction individuelle. Une construction par l’expérience, le voyage, la rencontre de l’autre et de sa terre. Une construction aussi par rapport à notre passé et nos relations familiales et amicales. En bref, une construction singulière mais, et je le pense sincèrement, déterminée par tant de paramètres qui se révèlent à nous par l’expérience et la découverte de l’autre.

Pour autant, il est évident, et chacun doit avoir des exemples dans sa famille ou ses amis, que le sentiment d’appartenance à un endroit, ne se ressent pas uniquement par le voyage ou la découverte. Certains, et pour de bonnes raisons, choisissent de rester auprès des leurs et dans leurs aires géographiques. Peut-on dire dès lors, que, parce qu’ils n’ont pas forcément eu la distance nécessaire, qu’ils n’ont pas forcément pris de la hauteur, hauteur que le voyage peut d’ailleurs conférer, que ces gens-là ne ressentent pas l’attachement à leur terre ? Si eux ne sont pas partis, c’est peut-être qu’ils ont au contraire, plus d’attachement, plus de passion et d’amour pour leur territoire. Ou alors peut-être que les gens qui font ce choix là sont, en quelque sorte, pris par un déterminisme géographique et social, qui les amène n’ont pas à bouger, mais à rester, là où leur famille a vécu et là où ils ont grandi. Là encore, il n’y a pas de réponse définitive à apporter. Chacun détient la clé au fond de lui, par sa propre vie, son histoire familiale et ses propres choix.

Alors aurais-je eu le même point de vue si je n’avais pas décidé de passer un an loin des miens et de ma terre. Non sans doute. Ce voyage, cette expérience ont fait ressortir ces liens invisibles, ce contrat entre moi et ma terre. Si je ne l’avais pas fait, peut-être que je serais toujours dans mon village, à en voir ses côtés négatifs. La confrontation à autre chose, bien différent, à une autre terre avec ses richesses et particularités, auront sans doute eu des effets révélateurs. Je suis un empiriste, je crois à l’expérience, au test de soi, comme quelque chose qui finit toujours par vous apprendre quelque chose sur vous-mêmes. Reste à savoir si l’expression « l’attachement à sa terre » est une phrase sans grand sens, un peu vaste ou bien une notion pleine, qui renvoie à quelque chose d’aussi concret qu’invisible. Là encore, il est sans doute probable qu’il n’y ait pas de réponse fixe. A chacun d’y réfléchir, d’y apporter sa propre version, d’y attacher ses sentiments et sensations personnelles, pour donner à l’expression « l’attachement à sa terre » la définition qui lui correspond le plus. A travers ce pamphlet, le but n’était pas uniquement de raconter mes pensées personnelles, mais de partager un point de vue, une réflexion, qui je l’espère, nourriront à leur tour, d’autres points de vue et réflexions.

Billet d’humeur : Présidentielles 2022, le coup de gueule

À la Une

Par où commencer… C’est un mélange d’amertume et d’abattement qui s’est emparé de moi ce dimanche à 18 heure (locale). Essayant de finir la longue journée d’assesseur qui m’avait été confiée par l’ambassade, je ne pouvais cacher cette déception et cette colère qui s’étaient soudainement installées au plus profond de moi. Passé cette étape, qui m’avait sans doute vu insulter et grogner contre certains, je repris mon calme. A l’heure où tout nous pousse au changement, à la radicalité la plus profonde, à la prise de conscience électorale et collective, les français dans leur ensemble avaient choisi de reconduire le même tandem pour le second tour : le monarque, bourré d’une arrogance et d’un mépris de classe que personne ne peut égaler, et la fille à papa, plus habile que lui mais tout aussi détestable. Oui, parce que, et c’est presque inutile de le rappeler, on va encore avoir pendant 5 ans les mêmes politiques, les mêmes débats et les mêmes inactions. On va encore nous diviser, par notre couleur de peau, par notre religion ou opinion. On va encore nous tabasser, vouloir nous faire taire et nous humilier…

Que reste-il pour nous alors ? J’entends par nous, les jeunes, les gauchos, antisystèmes, voire même ceux qui veulent que ça change. Il va nous rester finalement, ce qui est toujours resté à ceux qui mènent les luttes : la rue et nos gueules. Parce que, et je suis prêt à le parier, cette fois-ci ça va partir en live, pour être poli encore. Et ça va partir en live encore et encore tant que ça ne changera pas. Je me rappellerai toujours de ce que m’avait dit mon père, pendant la période des Gilets-Jaunes. Il disait, en répondant à une question que je lui avait posé, « tu vois, à force de se courber devant les puissants, à force d’humiliation et de mépris, quand les gens n’ont plus rien, plus rien à perdre, ils finissent toujours par se relever et se révolter ». J’ai foi en ces paroles, et pourtant je ne suis pas croyant, mais celles-là comblent mon inquiétude, me rassurent presque. Quand tout partira en fumée, que ceux qui courbent l’échine, et ils seront de plus en plus nombreux sur cette planète, ceux qui bossent jour et nuit pour boucler la fin du mois, seront une fois de plus humiliés au plus profond de leur chair, alors il y aura la révolution et le chaos. A force, des fois, je me demande si je ne réfléchis pas comme un anarchiste. Mais j’ai ressenti tellement de dégoût ces 5 dernières années (et celles d’avant, mais je n’étais pas assez politisé), que j’ai parfois envie de tout casser. De dire merde à tout, au système, aux racistes et aux vieux. Envie de dire merde aux sondages, aux milliardaires, aux égoïstes, aux médias, à tout cet environnement qui pollue notre pensée et nous empêche de réfléchir comme des êtres responsables et équilibrés.

Alors, à vous les retraités, les personnes âgées. Vous qu’on maltraite dans les EHPAD, vous qui avez ardemment bossé toute votre vie, et vous qui maintenant, refusez le changement, pourquoi ne prouvez-vous pas un peu de compassion ? Notre génération souffre, est angoissée par le changement climatique, mais vous ne semblez pas plus occupés que cela. Vous êtes effrayés par des choses qui nous, les jeunes ne nous effraient pas. A contrario, vous n’êtes même pas concernés par des choses, qui nous nous touchent et vous touchent. Des choses qui nous préoccupent au plus profond de nous-mêmes et qui toucheront vos arrières petits-enfants. On se bat pour vous laisser le choix de mourir comme vous le souhaitez. On s’est privé pendant la crise Covid pour vous protéger et vous ne nous remerciez même pas. On se bat pour que vous ayez une fin de vie paisible, pour vous laisser partir à la retraite plus tôt et avec le salaire que vous méritez ; on vous écoute comme des êtres sages, des êtres qui transmettent, qui ont l’expérience du vécu. Au lieu de ça vous nous décevez et ne nous respectez même pas. Ne soyez pas le mélange classique entre ce libéralo-conservatisme qui vous caractérise parfois, et cet égoïsme générationnel. Réinventez-vous ! C’est malheureux car vous devriez être la tête pensante de ce changement. Vous devriez être les êtres qu’on écoute, dont on se nourrit, des êtres riches et respectés de notre civilisation. Au lieu de ça, vous bloquez tout, vous refusez de faire cette introspection, vous refusez d’œuvrer et de penser pour le changement, pour notre futur. Je ne parle pas ici des conservateurs de la première heure, mais plutôt de ceux qui ont fait mai 68, la Résistance ou encore ceux qui ont élu Mitterrand en 81. Ceux qui comme nous maintenant, se sont sentis oppressés et incompris à un moment de l’histoire. Ceux qui ont promu pendant leur vie, un vote et des valeurs, et qui maintenant les renient. Ceux qui se sont opposés à De Gaulle, à Juppé et consort, où êtes-vous passez ? Que reste-il de votre âme militante, de votre désir effréné d’action, de progrès et de justice ?

A toi, jeune adulte qui a voté extrême droite, je ne peux que te rappeler qu’il y a quelques temps tu jouais encore dans la cour de ton collège avec un Mohammed et un Carlos. Tu n’avais pas l’air très inquiet ; à cette époque tu n’en avais rien à faire qu’il soit noir, musulman ou aztèque, voire même les trois à la fois. Toi qu’on détourne des vrais sujets de société, regardes toi aussi dans un miroir et réalise une introspection profonde. Toi qu’on bassine avec des faux concepts, des fausses théories, toi à qui on vend une histoire de France tronquée et déformée, réfléchis aux conséquences de ton vote, et surtout à ses non-conséquences. A toi aussi le libéral quarantenaire, qui ne jure que par le fric, quand ta planète sera en train de cramer, que ton pays sera déchiré, que feras-tu ? L’amas d’argent que tu auras sous l’oreiller ne te servira à rien. Pense le changement comme une prouesse philosophique au lieu de te borner dans un système qui au fond, contredit la nature humaine et donc la tienne. Pense à l’autre, non pas comme un assisté ou un étranger, mais comme un être en difficulté, qui n’est peut-être pas né au bon endroit et qui a aussi le droit à autre chose. Détache toi de ton indifférence de classe et remplis toi d’empathie.

J’aime mon pays, mais quand je me retrouve au plus profond de l’Islande, qu’ai-je à promouvoir de lui ? Qu’ai-je de bon à raconter sur lui ? Alors oui, la nourriture, les paysages et compagnie, ça je peux le servir à toutes les sauces. Mais que dire du reste alors, que dire du futur de mon pays. Quelle autre fierté ai-je à promouvoir ? Rien, un pays qui se divise, s’effrite, un pays qui va plonger lentement dans le dénis climatique, et où rien ne sera changeable. J’ai peur et je suis en colère à la fois. Je ne sais plus quoi penser, quoi raconter sur lui, seulement qu’on ne pourra rien faire pendant 5 ans, si ce n’est promouvoir la fureur, la rébellion et le chaos. Parce qu’il nous restera que ça au final. Alors, dans la perspective de ce second tour, je vais sûrement m’abstenir. Je ne sais pas, je doute et j’ai peur. C’est un grand dilemme qui s’offre à nous et je n’ai pas la solution. Je n’ai aucune motivation qui puisse aller contre ma démarche philosophique et morale. Je ne voterai pas, certes, mais à contre cœur, car je n’ai pas envie d’élire l’un ou l’autre. Ça en choquera certainement plus d’un, mais vis-à-vis de ma conscience personnelle je ne peux voter pour Mr Macron. Je ne peux pas mettre son nom dans l’enveloppe, en reniant son quinquennat, le tout au nom de l’union contre l’extrême droite. Et au petit malin qui viendra me réprimander avec ces « olala il faut faire barrage à l’extrême droite » ou encore « le front républicain », il aura peut-être raison dans le fond. Mais qu’il ne vienne pas me faire la leçon. On nous a déjà chanté ce petit refrain en 2002, 2017 et maintenant en 2022. Ils n’ont rien fait pour endiguer l’extrême-droite, l’ont même renforcé consciemment, qu’ils se débrouillent avec elle dorénavant. C’est dur à entendre, c’est sans doute irresponsable, mais cela résume assez bien l’impasse politique et philosophique devant laquelle je me trouve.

Dans ce climat noir, où l’avenir semble se boucher, s’assombrir de manière irréversible de jour en jour, je m’efforce à l’optimisme. Quand tout va mal alors rien ne peut être pire. Il y aura un jour un renversement, non pas une amélioration car elle viendra trop tard pour ce pays, mais un retournement radical de nos politiques, de nos systèmes de pensées et de nos rapports entre nous et avec la nature. J’aime me réconforter avec le matérialisme historique marxiste. Cette idée que la roue va tourner, que l’histoire va se modeler inconsciemment, avec les années, pour tendre vers un autre système. Un autre tout, meilleur, plus juste. Il ne nous reste plus qu’à le faire, à le provoquer, à bousculer notre destinée commune ; la roue de l’histoire nous aidera peut-être cette fois-ci. 

PSG : pourquoi ça ne peut pas marcher ?

Voilà maintenant quelque temps que je palabre, souvent à contre-courant, avec mes amis parisiens. Qu’ils soient des franciliens de pure souche ou bien des footix de la première heure, je lutte avec mes moyens, de pauvre rugbyman provincial, pour leur expliquer que le PSG version qataris, ne pas peut marcher. Alors vous me direz que je suis bien malin de me décharger sur le club de la capitale au lendemain d’une (nouvelle) élimination piteuse en Ligue des Champions. Pourtant que ça leur plaise ou non, la réalité est là, et elle ne fait qu’aller dans le sens des mes idées. Alors oui le PSG ne peut pas marcher, son système et sa politique, ne peuvent l’amener vers ce qu’il désire le plus, gagner la Ligue des Champions.

Je tiens quand même, avant d’en venir à mon opinion, à exprimer mon plus grand respect aux supporters parisiens.

Tout d’abord parce qu’ils écoutent chaque année la même musique, le même « cette année c’est la bonne ». La même boucle passant par quatre stades : nouveau coach, mercato d’enfer (à en faire saliver plus d’un), un début de campagne européenne encourageant, une élimination humiliante. En tant qu’ancien supporter de Clermont au rugby (3 victoires sur une douzaine de finales disputées), je ne peux que m’associer à la détresse des supporters parisiens, qui malgré leur origine géographique, restent de bonnes personnes. Derrière leurs airs hautains en août, se cache toujours un petit cœur sensible, prêt à lâcher ses plus grosses larmes au mois de mars. Alors voilà, bien que ne portant pas le PSG dans mon cœur, je ne peux que m’efforcer à partager le malheur et la colère de mes camarades.

Venons-en maintenant au problème parisien. Tout d’abord, bâtir une équipe en additionnant les stars, aussi talentueuses qu’elles soient, ne marche pas. Le fric c’est bien, ça sert dans le foot, c’est indéniable. Mais à Paris ça ne marche pas. Additionner de manière exponentielle les meilleurs joueurs du monde, c’est un super coup marketing certes, mais dans un sport ça ne fait pas tout. En fait, il vous faut autre chose, un petit plus. Il vous faut trouver cette bonne alchimie entre les joueurs, le staff et l’institution. Autrement dit, tout ce que Paris n’a pas. On ne ressent pas cette envie de se battre ensemble, de souffrir ensemble, ce « figthing spirit ». Ils vous faut des mecs qui aient envie de se saigner pour le maillot, pour la ville et les fans. On a plutôt l’impression de faire face à un groupe de gamins pourris gâtés, venus à Paris pour faire la chouille et s’en mettre plein les poches. Et c’est même ça le plus dommage au final : un groupe qui fait trembler l’Europe sur le papier mais qui s’écroule sur le terrain à la moindre difficulté. Le(s) coach(s), aussi talentueux et respectés soient-ils, n’arrivent pas à gérer ce groupe. A vrai dire, ils sont diplômés en management du sport, en stratégie footballistique, en 4-4-2, 4-4-3 losange défensif, mais n’ont pas de DUT petite enfance. Alors voilà, on va s’acharner sur Pochettino (le garçon n’est quand même pas le plus mauvais des entraineurs), mais bon le pauvre, 2 mois après son arrivée il avait déjà envie de se barrer. Après voilà, il est responsable de la stratégie, de la tactico-tactique, il a sans doute sa part de responsabilité, comme les autres avant lui. Mais les échecs parisiens sont tellement récurrents et similaires, que l’on se demande qui est véritablement le fautif.

On dit souvent que dans le foot l’argent ne fait pas tout et bla bla, les surprises, l’état d’esprit et tout. En fait, Paris constitue sans doute l’exception. Les clubs dominant en Europe sont les plus riches, c’est indéniable. Et même, si ils ne parviennent pas tous à remporter la coupe aux grandes oreilles, ils n’en sont pas loin à chaque fois. Et puis, ces équipes ont des coachs, qui pour la plupart, perdurent et instillent une vraie identité à leurs équipes. Quelle est l’identité parisienne ? Donner la balle aux trois de devant, voilà l’identité du PSG depuis quelques années. N’étant pas un grand expert du football, je n’ai pas une analyse très poussée du jeu parisien. Pourtant, j’ai trouvé cette équipe trop moribonde, trop lente, et pas assez secouée. Alors oui, c’est un style de jeu, qui marche ou pas, qui a ses vertus et ses défauts. Mais quand vous avez des joueurs de ce calibre, tout ce talent, vous vous devez trouver un bon système et une bonne alchimie. A Paris on préfère acheter à tout va, sans se soucier du fond de l’affaire et de la complémentarité des joueurs. On empile des stars sur des stars, ça fait parler et rêver, c’est beau, mais ça marche pas, pont final.

A partir de là, c’est-à-dire, sans style de jeu, sans réflexion profonde sur le club et ses méthodes, avec une politique d’accumulation exponentielle de stars, comment peut-on espérer voir le PSG assouvir ses désirs et ambitions. Au final, le club n’a pas progressé en 10 ans. Ils ont gagné le championnat, la coupe de France et des tonnes de coupes à Toto. Mais les qataris étaient-ils venus pour ça ? Non évidemment. En plus de ça, selon les années, le PSG n’est pas souverain en championnat, et se fait régulièrement surprendre par des équipes de faible calibre. C’est donc un échec sur toute la ligne. Maintenant, il va peut-être falloir se mettre à réfléchir, en profondeur, sur le fonctionnement de ce club, notamment sur le rôle de la formation.

La formation, parlons-en de la formation. Quel gâchis ! C’est con de se dire que Paris, capitale de la France, ville la plus peuplée, regorge de bambins, des « titis » comme ils les appellent, prêts à mourir pour le club. Ils font leurs classes en région parisienne, et les plus talentueux partent au centre de formation du PSG. Mais barrés par cette politique du million, que mes amis fans du PSG approuvent, la porte de l’équipe fanion se referme sur eux alors même qu’elle était à peine entrouverte. On préfère faire jouer la star ayant coûtée deux bras au club, plutôt que de donner sa chance au petit. Ces petits qui le plus souvent partent, avide de revanche, et finissent par s’affirmer dans des milieux plus propices à leur éclosion. Les exemples de Coman, Maignan ou encore Diaby ne sont jamais très loin et se répètent beaucoup trop souvent.

Et puis les qataris il faut en parler quoi. J’ai vraiment l’impression de voir des poissons rouges; vous savez les petits poissons enfermés dans l’aquarium, qui en font une fois le tour, oublient et puis recommencent. A quel moment Nasser, et ses copains pétromonarques, ils vont se demander, est-ce que ça a du sens ce qu’on fait ? Parce que à la rigueur, acheter un club, pour s’enrichir en faisant du trading, à la rigueur ça passe, c’est compréhensible dans ce monde capitaliste. Mais là, les mecs ils dépensent un pognon monstre, et ils récoltent que des cacahuètes au final. Et ils refont la même chose l’année d’après, vendant du rêve, des paillettes et du caviar, pour se retrouver avec une bonne vieille terrine de campagne à la salle des fêtes du village au mois de mars. Ça n’a pas de sens. Après les gars, il faut se dire, qu’ils sont milliardaires, du fric ils en ont à la pelle, mais bon je ne vais pas tenir de propos marxiste au risque de m’éloigner de mon sujet. Quoique, en fait si, avec l’exemple du PSG on se rend compte que l’humain à encore une petite place au milieu de tout cet argent. Alors oui c’est pas du socialisme, mais des gestions de groupe, des aventures humaines, et des communions avec un stade et ses supporters (j’ai eu des frissons sur le 3ème but de Benzema), ça a encore sa place dans le monde moderne. Mais bon ça, les qataris ne l’ont pas compris. Au final c’est le supporter francilien qui en pâtit, lui qui s’efforce, et c’est légitime, de défendre son club de toujours alors qu’il sait très bien, au fond de lui, que ça ne marchera jamais.

Alors à toi supporter, amoureux de ton club, j’espère que le mercato d’été ne te donnera pas de trop gros espoirs et que tu sauras rester lucide.

6. L’Afghanistan de 2006 à nos jours : quand les taliban renversent la vapeur

La coalition de l’ONU remporte d’importantes batailles entre 2001 et 2006. Après avoir repris Kaboul, l’ONU négocie les accords de Bonn qui mettent en place un gouvernement intérimaire, d’une Constitution et désignent Hamid Karzai comme le nouveau président. A priori tout semble bon pour les forces de coalition. Elles progressent partout sur le territoire, arrivent à faire accepter un changement de régime et de Constitution. Pourtant, l’année 2006 correspond, après 5 ans de reculade, au retour en force des soldats taliban. 15 ans après, les talibans ont repris le contrôle de tout le pays. Que s’est-il-passé ? Comment les taliban, qu’on croyait morts en 2001, ont réussi à renverser la vapeur et a reprendre le contrôle au profit de l’ONU ?

Nous pouvons commencer par parler des problèmes purement militaires de la coalition en Afghanistan. En effet, après avoir été largement dominés pendant 5 ans, les taliban ont retrouvé un nouveau souffle. Ils ont adopté une technique de guérilla et se sont mis à multiplier les attentats. En fait, même si ils ont été dominé, les talebs n’ont jamais disparu ; ils ont été les roseaux qui plient mais ne se brisent jamais dans la tempête. En fait, on a toujours entendu parler des taliban. Ils avançaient, reculaient, par moment ils devenaient menaçants: ils ne disparaissaient jamais. De plus, les Etats-Unis et la coalition ont été confronté aux mêmes difficultés que les russes quelques années auparavant. Ils se sont battus sur un terrain qu’ils ne connaissaient pas, dans un pays géographiquement hostile. Un pays montagneux, rocailleux, et sans réel infrastructures de transports. Cet aspect logistique ne doit pas être un gros obstacle pour une puissance militaire comme les Etats-Unis. Cependant, la connaissance du terrain compte, surtout lorsqu’on est confronté à un ennemi invisible et très mobile.  

Enfin, comme nous pouvons le penser, les Etats-Unis ne sont pas pour rien dans le prolongement des combats en Afghanistan. Les américains, qui ont mené les autres nations à la guerre, avaient pour but principal la traque de Ben Laden. Attisés par la haine et la vengeance, leur volonté première était de débouter les taliban, pas forcément d’installer un pouvoir légitime et stable. Parce que, et comme l’affirme  Olivier Roy, les américains ont fait du  « state-building » à leur manière. Ils ont investis des milliards, se sont fait duper par la corruption au sein de l’armée régulière afghane et n’ont jamais pris en compte les réalités ethniques et tribales qui subsistaient dans les campagnes afghanes. La démocratie importée par les américains a fonctionné en substance, des élections ont été tenu et les institutions ont fonctionné, mais elle n’a jamais pourfendue la société afghane dans son ensemble. De plus, les américains ont traversé une grave crise de légitimité au regard des afghans. En effet, les américains, par leurs actions et leur état d’esprit, ne vont jamais réussir à s’allier avec les populations rurales. Notamment en raison de leur incapacité par moment à distinguer un taliban d’un civil ; chose qui certes fait aussi partie des difficultés que l’on rencontre face à ce genre d’ennemi. Mais généralement, et de la même manière qu’en Irak, les Etats-Unis ont parfois détruits, trop détruits même, le tout face à une population désespérée par la guerre. Au final, ils pouvaient être aussi détestés que les taliban.   

Après près de 20 ans de guerre, les Etats-Unis ont négocié à Doha des accords avec les taliban. Là encore, on s’aperçoit bien que les américains sont dans une impasse. C’est un nouveau fiasco, un nouveau Vietnam. Les Etats-Unis patinent en Afghanistan, négocient leur reddition et abandonnent des milliers d’afghans qui leur avaient été serviables auparavant. Où est la logique ? Les américains étaient venus pour tuer Ben Laden, c’est chose faite. Mais n’oublions pas que avant l’épisode 11 septembre, les américains n’étaient pas opposés aux taliban, bien au contraire. Alors est-ce si surprenant de les voir négocier avec les taliban 20 ans après ? Non je ne pense pas. Les américains ont toujours agit en fonction de leurs intérêts, non pas par humanisme. S’ils ont aidé le gouvernement afghan en 2001 c’est bien pour avoir Ben Laden, pas pour reconstruire l’Afghanistan. Est-ce surprenant de les savoir sourds aux appels de détresse lancés par des exilés afghans ? Encore une fois non. A partir de l’accord de Doha, les américains, avec Trump et Biden, ont retiré progressivement leurs troupes. Durant l’été 2021, les taliban, n’ayant même pas attendus le départ complet des Etats-Unis pour lancer une offensive générale sur tout le pays. L’Afghanistan tombe aux mains de taliban en moins de 3 mois.

Accords de Doha (source: le Monde)

Alors que pouvons-nous espérer pour la population afghane à l’heure actuelle ? Une nouvelle intervention étrangère serait inutile, voire même impossible au vu de la conjoncture actuelle. Le peuple afghan mérite la paix, même si il doit s’agir de la paix des taliban. De plus, et ce n’est que mon point de vue, les taliban ne referont pas la même erreur qu’en 2001. En effet, ils s’étaient associés avec Al Qu’aida, ce qui leur avait fait perdre 20 ans de domination sur l’Afghanistan. Leur but est maintenant de devenir un régime reconnu par la communauté internationale et de normaliser leurs relations diplomatiques. Cependant, nous ne pouvons pas supporter un régime moralement cruel et injuste. Nous avons échouer et nous ne pouvons rien y faire. Seul le peuple afghan est aujourd’hui en mesure de renverser la vapeur. Peut-on croire à la révolution ? L’avenir nous le dira.  

5. L’Afghanistan de 1996 à 2006: point de bascule

La continuité de la percée des taliban, après la prise de Kaboul en 1996, paraît inéluctable. Leur force et les soutiens qu’ils ont, leur confèrent une position de toute puissance. L’Alliance du Nord, composée de frères ennemis n’ont plus les moyens de contre-attaquer. A travers cet article nous allons ajouter la dimension géopolitique du mouvement taliban. Il est vrai que l’Afghanistan est, depuis 1979, sur le devant de la scène. Elle est le reflet des oppositions géopolitiques. La pérennisation des taliban va aussi marquer l’établissement d’un régime islamique fondamentaliste. L’Afghanistan va donc devenir un modèle sur le plan moral et une terre d’accueil pour ceux qui possèdent les mêmes convictions. Al Qu’Aida va prospérer en Afghanistan jusqu’en 2001. Après les attentats du 11 septembre (et l’assassinat de Massoud) la situation va changer. Cette date marque le début du recul militaire des taliban jusqu’en 2006.

L’ Évolution des talibans de 1996 à 2001

Kaboul est tombée, et rien ne semble arrêter les taliban. Mazar-el-Cherif est prise en 1997 ; elle était jusque-là le fief de Dostom et des ouzbeks. Elle était aussi le refuge des hazaras chiites réfugiés après l’avancée talibane dans le centre du pays. Cependant la ville est disputée, les taliban la perdent avant de la regagner en 1998. Alors que les troupes de Dostom avaient massacré des prisonniers taliban, ces derniers, en reprenant la ville, répliquent et massacrent à leur tour des milliers d’hazaras. Ainsi, la progressions des guerriers Taleb se poursuit. Ils ont désormais le contrôle sur toute la frontière avec le Turkménistan et l’Ouzbékistan. Massoud reste le seul opposant face aux taliban, même si il n’est pas aussi puissant qu’eux. Il conserve ses positions à l’est du pays et fait du Badakhshan une province imprenable. Au centre du pays, les milices chiites du Wahdat dissident continuent de lutter. La carte est donc simplifiée, Dostom et Hekmatyar n’ont plus de pouvoir et seul Massoud contrôle encore son territoire d’origine.

Guerre d'Afghanistan (1996-2001) - Wikiwand
Territoires contrôlés en 2001 (source: wikipedia)

Diplomatie

Nous pouvons nous arrêter un instant sur l’aspect géopolitique de la guerre en Afghanistan. Si les évènements ont pris une tournure aussi dramatique, les différentes puissances étrangères n’y sont pas pour rien. La guerre froide et les contentieux entre différents pays, au Moyen-Orient et ailleurs, ont conduit au prolongement de l’état de guerre en Afghanistan.

Schématiquement, depuis 1979, deux blocs s’opposent. Le premier est formé par les Etats-Unis, le Pakistan, l’Arabie Saoudite ou encore les Émirats Arabes Unis. De l’autre côté on retrouve Moscou avec ses pays satellites (Ouzbékistan, Tadjikistan) à la frontière de l’Afghanistan. On peut y ajouter l’Inde et l’Iran. On peut en effet remarquer que cette opposition se calque sur la division Nord/Sud de la guerre civile afghane.

Mais alors pourquoi cette dualité ? La première raison tient à la nature même de la guerre froide. Les États-Unis et l’URSS s’opposent idéologiquement et matériellement. La guerre des moudjahidines s’insère dans cet affrontement indirect entre les deux puissances, et même après la fin de la Guerre Froide.

Deuxièmement, les ingérences étrangères sont dues aux vieilles rivalités entre pays. L’Inde soutient le gouvernement de Rabbani car elle ne peut supporter que son vieil ennemi le Pakistan ne prenne trop de puissance de la région. L’Inde va aussi armer l’Alliance du Nord car refuse de voir les taliban s’emparer du pouvoir ; cela pourrait galvaniser les rebelles musulmans du Cachemire qui revendiquent leur indépendance. Les États-Unis et l’Arabie Saoudite s’alignent sur la politique du Pakistan, ce qui les placent contre leurs ennemis iraniens et russes.

Troisièmement le prolongement des conflits peut se lire sur l’axe religieux et ethnique. L’Iran soutient les hazaras car ils sont chiites et qu’ils parlent la même langue. Le Pakistan suit la voie pashtoune et fondamentaliste, en soutenant le Hezb (avant 1994) et les taliban (après 1994). De plus, les pays d’Asie centrale anciennement communistes, comme l’Ouzbékistan et le Tadjikistan suivent logiquement les ouzbeks et tadjiks afghans.

Enfin, la poursuite du conflit est stratégique et géographique. Prenons exemple sur la Russie. Les russes (après la guerre froide) craignent pour leur hégémonie sur la région. Ils perçoivent d’un mauvais œil la montée en puissance pakistanaise. Ils vont donc tout faire pour unifier les commandants du Nord pour s’allier contre le Hezb puis contre les taliban. Côté pakistanais, le but est certes de s’immiscer dans les affaires afghanes, mais surtout de rouvrir des routes commerciales à travers l’Afghanistan. En définitive, toutes ces ingérences ont causé du tort à l’Afghanistan. Elles ont ouvert les failles et approfondis les divisions du peuple afghan.

Operation Enduring Freedom – The Air War | Weapons and Warfare
Soldats lors de l’opération « Enduring Freedom » (source: weaponsandwarfare.com)

L’arrivée des américains: 2001-2006

2001 est un « turning point » dans la guerre en Afghanistan. C’est l’année où les américains vont pour la première fois intervenir militairement (c’est-à-dire avec un envoi massif de troupes) en Afghanistan. Comment comprendre ce revirement de situation ? Pourquoi les Etats-Unis, qui jusque-là n’avaient pas fait barrage à l’avènement des taliban, ont-ils décidé de combattre les guerriers Taleb ?

Les américains n’étaient pas hostiles à l’avènement des taliban dans le pays. Ils voyaient d’un bon œil leur arrivée, d’autant plus que cela pourrait amener de la stabilité au pays et que cela conforterait la place du Pakistan dans la région. Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis occupent une position hégémonique. Ils ont vaincu l’URSS et sont dans une position de force jamais occupée auparavant. Après avoir longtemps adoptés une politique isolationniste, les américains, depuis la seconde guerre mondiale, ont développé des politiques d’intervention. La stratégie de l’endiguement était justifiée pour contrer la poussée communiste dans le monde. La poursuite de la présence américaine s’explique par des logiques économiques mais aussi par les instabilités politiques. Cependant, la position hégémonique des États-Unis n’est pas appréciée partout. En se comportant comme les « gendarmes du monde » ils agacent et se mettent à dos, dans le cadre du Moyen-Orient, des populations musulmanes exaspérées par leur attitude de toute puissance. C’est dans cette logique que des mouvements se mettent en place, avec notamment comme objectif de réduire l’influence américaine. Al Qu’Aida en fait partie. Le mouvement dirigé par Oussama Ben Laden va alors effectuer une série d’attentats. Le but est de démontrer que les États-Unis ne sont pas aussi puissants et d’envoyer un message de révolte aux populations arabes opprimées. Après un premier attentat contre le World Trade Center en 1993 et les attaques contre les ambassades de Nairobi et de Dar-e-Salam en 1998, les États-Unis vont porter un regard différent sur la situation en Afghanistan. L’Afghanistan des taliban va être alors perçue comme une menace potentielle pour les américains, du fait de l’implantation de Al Qu’Aida. De plus la crédibilité des taliban s’effrite, non plus aux yeux des Afghans, mais bien devant la communauté internationale. Les premiers témoignages sortent quant à la vie sous leur régime. Les massacres et exécutions sommaires sont maintenant connus. La réaction de la communauté internationale est vaine. Massoud se rend même au Parlement Européen à Strasbourg pour demander de l’aide militaire.

le tragique 11 septembre 2001

Les évènements qui vont déclencher la réaction américaine sont les attentats du 11 septembre contre les Twins Tower. Meurtrie au plus profond de sa chair et avide de vengeance, les Etats-Unis de ce début du 21eme siècle va contrattaquer massivement contre « l’Axe du Mal ». Expression de G.W Bush, il regroupe l’ensemble des états dangereux politiquement aux yeux des américains : l’Afghanistan en fait partie. A cela s’ajoute l’assassinat de Massoud, le 9 septembre, qui passa quasiment inaperçu.

Les Etats-Unis vont alors lancer l’opération « Enduring Freedom », et ce dès le mois d’octobre. L’ONU à travers deux résolutions permet l’envoi d’une coalition dirigée par les américains. La coalition attaque sur plusieurs fronts. Au nord, la province du Badakhshan sert de base à la coalition qui lance des attaques vers Mazar-el-Cherif puis sur Kaboul. Le sud est bombardé depuis la mer. En l’espace de deux mois la coalition contrôle les principales villes. En plus de cela des révoltes éclatent un peu partout. La capitale Kaboul est reprise en novembre. L’avancée est irrésistible et les taliban ne font pas le poids ; ils lâchent Kandahar et Kaboul sans combattre.

Après 5 ans de guerre, la coalition et les américains se retrouvent face à trois problèmes :

  • la recherche de Ben Laden (qui était le principal motif de l’intervention)
  • la transition démocratique
  • la reconstruction du pays

Pouvons nous dire que ces trois objectifs ont été atteint ? Réponse dans le dernier article.

Sources:

Turning Point. Netflix (2021)

– Gélinas. S. (1997). Afghanistan: Du communisme au fondamentalisme

– Jauffret. J-C. (2010) Afghanistan 2001-2010. Chronologie

4. 1994-1996: qui sont les taliban(s) ?

Dans cet article nous allons évoquer la montée en puissance des taliban(s), de leurs origines, et de leurs convictions politico-religieuses. Nous sommes en 1994, la situation est précaire et les mythiques chefs de la résistance afghane, toujours opposés selon l’axe Hekmatyar-Massoud, ne parviennent pas à trouver de compromis quant à la pérennisation du pouvoir. Ces grands chefs charismatiques sont décrédibilisés aux yeux de la population. Le pays est appauvri et la situation sanitaire est préoccupante. Le moment est donc propice à l’avènement du mouvement taliban.

Fichier:Afghanistan en 1992.png — Wikipédia
Positions militaires en 1992

Une fulgurante ascension : de Kandahar à Kaboul.

Novembre 1994 est, sans aucun doute, le point de départ militaire des talibans. Ce mois-ci, les talibans s’emparent de Kandahar, la plus grande ville du sud du pays. Auparavant tenue par les forces gouvernementales (du Jamiat) depuis 1992, elle est le premier gros coup des talibans. Après avoir pris le contrôle de la province de Kandahar, ils remontent vers le nord-est en direction de Kaboul. Ils s’emparent alors, avec une certaine rapidité, des provinces séparant les deux villes. Ils se battent alors face aux soldats du Hezb et de ses alliés. Les talibans font encore parler d’eux lorsqu’ils prennent Maidan Shahr, bastion du Hezb et réputé imprenable. Cette localité, située à 30 kilomètres au sud de Kaboul, ouvre la voie vers la capitale et accélère encore la chute de Hekmatyar. En effet, depuis novembre 1994, c’est bien le Hezb qui pâtit de l’avancée des talibans. A la mi-février 1995, les talibans possèdent neuf provinces sur trente: celles du sud-ouest et du sud-est de l’Afghanistan (régions pashtounes). Ils se retrouvent face aux troupes de Massoud, notamment à Kaboul et dans la région de Herat. Désormais, quatre forces s’opposent : les factions chiites du Wahdat (en vert), les forces gouvernementales (en rouge), les milices ouzbeks de Dostom (en bleu) et les talibans (blanc).  

Fichier:Afghanistan en 1996.png — Wikipédia
Positions militaires après la prise de Kaboul en septembre 1996 (source: Wikipédia)

Les talibans ainsi que les forces de Massoud vont se retrouver définitivement face-à-face à Kaboul lorsque que les milices chiites, attaquées par le Jamiat, vont laisser leurs positions aux talibans à Kaboul-ouest. Les milices du Wahdat, sous la pression de Massoud, reculent de plus en plus vers l’ouest. Le parti va se scinder en deux ; une partie va se rallier à Massoud, l’autre aux talibans. En mars 1995, les talibans attaquent à Herat et à Kaboul. Ils ne réalisent pas de percée significative ; pire encore, ils reculent dans l’ouest et au sud de Kaboul. En mai, les voilà repoussés jusqu’à leurs positions initiales dans le sud, à l’approche de Kandahar. Cependant, la victoire n’est pas acquise pour le camp de Rabbani et de Massoud, ils sont toujours attaqués dans l’ouest et le nord, notamment par Dostom. En septembre a lieu un autre coup de tonnerre : la ville de Herat tombe aux mains des talibans. Grâce à l’appui de Dostom, ces derniers lancent une offensive foudroyante pendant l’été et récupèrent toutes les provinces sur l’axe Kandahar-Herat. La prise de la plus grande ville de l’ouest est un vrai test pour les taleb ; c’est la première ville non pachtoune qu’ils conquièrent mais c’est surtout une ville qui s’est bien remis de la guerre contre les Russes et qui était jusque-là assez calme et sécurisée. Coup dur pour le gouvernement qui, pendant ce temps, se voit obligé de négocier avec les talibans sous l’égide de l’ONU. Rabbani refuse de laisser Kaboul aux mains des talibans. Mais la situation est telle, que les anciens ennemis Massoud et Hekmatyar forment une alliance, alors impensable quelques mois auparavant. En effet, ils signent un accord et les troupes du Hezb se joignent à celles du Jamiat pour la défense de Kaboul.

Guerre d'Afghanistan (1992-1996) — Wikipédia
Kaboul détruite (source: Wikipédia)

Il est vrai que depuis fin 1995, les talibans assiègent Kaboul de toutes parts. Plus tard c’est Dostom qui signera une trêve avec le gouvernement ; lui aussi se sentant menacé par des talibans que rien n’arrêtent. Tandis que Massoud prépare la défense de Kaboul, les taliban s’emparent le 14 septembre de la dernière grande ville avant Kaboul : Djallalabad (à l’extrême est du pays). Les talibans en profitent pour remonter jusqu’au nord-est de la capitale. Cette prise semble être le dernier coup de grâce avant la chute de Kaboul. Le 26 septembre, après un an de siège, Kaboul tombe et les talibans font une avancée de 50 kilomètres vers le nord, où ils s’emparent d’ailleurs de la base aérienne de Begram. Ils tenteront de poursuivre leur avancée ensuite en attaquant la vallée du Panshir au nord-est mais butteront sur les troupes d’une coalition composée d’une des branches dissidentes du Wahdat (les chiites), du Jamiat et de Dostom. Nous assistons alors, à nouveau, à une polarité : les différentes ethnies du nord se sont alliées tandis que le sud pachtoune est passé sous la domination talibane après celle de Hekmatyar.

Il serait intéressant de comprendre qui sont les talibans, maintenant que ces derniers possèdent plus de la moitié de pays. D’où sont-ils issus et quel est leur projet politique ?

Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ?

When terrorism came to power in Afghanistan, where the US landed; Taliban  from 1994 to 2021 - Newsy Today
Groupe de taliban (source: newsy-today)

Le mot taliban, traduit en pachto signifie « étudiants ». En effet, les talibans sont, à la base, un groupe d’étudiants du sud de l’Afghanistan. A majorité pachtounes, ils ont été formé dans des madrasa, des écoles religieuses réparties le long de la frontière pakistanaise. Ces étudiants sont des fondamentalistes, ils se réfèrent à la charia comme le vecteur d’un changement profond dans la société afghane. Nous pouvons nous arrêter un moment sur le terme « charia ». Dans notre langage courant, la charia signifie la loi islamique. Cette loi proviendrait du prophète Mahomet et aurait guidé les sociétés islamiques durant des siècles. Le chercheur Julien Loiseau, dans article paru dans Débat (2012/4) identifie trois significations de la charia : la première tient à la Loi Divine, la deuxième fait de la charia un idéal collectif quand la troisième explique la charia comme un projet de société alternatif. L’Afghanistan des talibans s’insère dans cette troisième explication. La charia est certes la Loi Divine, révélée par Mahomet, mais elle est surtout un projet de société en réaction à l’occidentalisation, c’est-à-dire en contradiction avec la culture politique et culturelle de l’Occident. Les principes de la charia, appliqués dans l’Afghanistan des taliban, se traduisent notamment par des droits limités pour les femmes, le retour des châtiments et des exécutions, et par la violence faite aux non musulmans.

Le mouvement des talibans n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, né en 1994, au moment de sa fulgurante ascension. Ses origines remontent à la guerre contre l’URSS. Isolées dans les montagnes du sud, les écoles où les talibans ont été formé, furent actives contre les Russes. Mais mal équipées et sans réels financements, elles sont restées marginales. Sur le plan politique, les talibans n’ont pas fait le poids face à Hekmatyar. Avec lui et le Hezb, ils partagent bon nombre de points communs (ils sont pachtounes et prônent un islam radical). La notoriété de Hekmatyar, sa puissance militaire et le soutien (moral et financier) qu’il recevait du Pakistan, ont contribué à la marginalité du mouvement taliban. Comment expliquer alors qu’un mouvement avec si peu d’influence ait pu devenir si puissant ?

Changement de stratégie, ordre et légitimité

La soudaine hégémonie des talibans peut se justifier selon deux explications. La première peut s’apparenter à un changement radical de la stratégie des autorités pakistanaises. En effet, le Pakistan soutenait le Hezb de Hekmatyar depuis le début de la guerre contre l’URSS. Il faut savoir que les pakistanais sont en partie des Pachtounes, ce qui rend logique leur soutien moral et financier au Hezb. Le revirement soudain du Pakistan peut se comprendre par l’impasse devant laquelle se trouve le Hezb en 1994 : il n’est pas assez puissant (lui et ses alliés) pour prendre seul le pouvoir et sa crédibilité est entamée. On surnomme même Hekmatyar « le boucher de Kaboul » après que ce dernier ait bombardé la capitale. Ce revirement soudain peut s’expliquer par une vieille rivalité au Pakistan. Il serait complexe de la raconter ici; cependant même si les autorités pakistanaises ont toujours nié avoir levé le mouvement, beaucoup affirment que les talibans sont les enfants du Ministre de l’Intérieur pakistanais de l’époque. Leur qualité d’armement et de formation ne nous trompe pas. Certains officiers de l’armée régulière pakistanaise ont même été capturé parmi les talibans. De plus la dimension commerciale de cette nouvelle stratégie n’est pas à exclure ; avec la stabilité liée à la domination des talibans, les pakistanais peuvent à nouveau emprunter l’Afghanistan pour aller commercer en Asie centrale. Le Pakistan, sans faire volte-face dans sa stratégie, continu de jouer la carte Pachtoune et fondamentaliste.

Étendue de l’ethnie Pashtoune (source: http://www.axl.cefan.ulaval.ca)

Deuxièmement, les talibans se sont présentés comme des guerriers de la paix. Leur but étaient de ramener la paix, leur paix. Au début de leurs conquêtes, les populations se sont montrées favorables à leur arrivée. Penser aux talibans durant l’année 1994 ne doit pas nous amener à une image d’islamistes sanguinaires et mal accueillis par les populations. Bien au contraire, dans les provinces qu’ils ont conquis, ils ont restauré l’ordre, condamné les anciens chefs coupables de pillage et de corruption. Ils ne détruisent rien et s’efforcent de ne pas employer la violence lorsqu’elle ne s’impose pas. On peut dès lors se demander comment ont-ils réussi à avancer très rapidement sans ne pratiquement rien détruire et tout en gardant une certaine légitimité ? Une de leur technique était de négocier la reddition des chefs avant le combat en leur promettant la vie sauve. Ils ont aussi réussi à démobiliser des milices en leur donnant des sommes importantes d’argent. En définitive, leur stratégie a été payante, mais jusqu’à un certain point. La paix qu’ils ont ramené, même si elle valait mieux qu’une guerre sans fin, s’est combinée à une application très stricte de la charia. De plus, ces guerriers de la paix se sont trahis aux yeux de la population. Ils ont à plusieurs reprises tenté de rentrer dans Kaboul par la force, ce qui causa d’autres dégâts. En plus de cela, leur recul en mars 1995 a montré leur faiblesse aux Afghans; ils ne sont pas invincibles.

Les talibans contrôlent désormais 90% du territoire afghan. Leur puissance est totale même si les forces de l’Alliance du Nord résistent et stabilisent le front. L’année 1996 s’achève par la création de l’Émirat Islamique d’Afghanistan, dirigé jusqu’en 2001 par le mollah Omar.

Sources :

Gélinas. S. (1997). Afghanistan: Du communisme au fondamentalisme

Le Club de Médiapart. (Août 2021). Afghanistan, mode d’emploi

Roy. O (1995). Les talibs, des islamistes puritains sans projet politique. Le Monde

Loiseau. J. (2012). Qu’est-ce que la charia. Le Débat

Rugby : Cap sur le Tournoi des 6 nations 2022

Nous sommes à quelques jours du début du Tournoi des 6 Nations 2022 de rugby, qui verra l’équipe de France recevoir l’Italie à Paris. Après 2 saisons passées sous l’ère Galthié, il serait sournois et malhonnête de dire que l’objectif du XV du France, pour ce tournoi 2022, n’est pas la victoire finale. Une petite projection burlesque s’impose, notamment sur la dynamique de notre équipe de France et sur ses adversaires.

6 Nations : Une réplique du trophée remise au vainqueur ?
Le trophée: principal objectif des Bleus pour 2022

Si l’on regarde bien la forme actuelle des autres nations, on peut être conforté dans l’idée que la France fait partie des favoris. L’Italie, abonnée à la cuillère de bois depuis trop longtemps, est toujours à la recherche de sa première victoire dans le tournoi depuis 2015. Attention toutefois à ne pas prendre cette équipe au sérieux ; même si elle est un stand en dessous de l’équipe de France, l’histoire nous a montré que les valeureux transalpins savent jouer les troubles fêtes. La réception de l’Italie dimanche au Stade de France sera donc capitale pour bien débuter et poursuivre sur la série d’automne.

La France enchainera le week-end suivant contre l’Irlande. Les Irlandais (du Nord et du Sud), vainqueurs du tournoi en 2018, sont sur une bonne dynamique. Dominants grâce à leurs provinces dans les coupes d’Europe, ils peuvent s’appuyer sur une nouvelle génération bien encadrée par les vieux briscards. Ils seront emmenés par un 8 de devant aussi épais qu’une caisse à outils bien remplie. Mais si ils ne semblent plus aussi forts qu’il y a quelques années, une nouvelle dynamique semble avoir été insufflée depuis l’arrivée de l’anglais Andy Farrell à sa tête. Ayant battus les Blacks et atomisés les Argentins en novembre, leur retour à Paris sera d’autant plus dangereux que les Bleus s’étaient imposés à Dublin l’an dernier. Nul doute que les Irlandais arriveront avec le goût de la revanche et l’envie de faire brouter du trèfle à nos petits français.

Pour la troisième journée, la bande à Dupont ira défier les écossais dans la mythe antre de Murrayfield. Galvanisés dès le majestueux Flower of Scotland et poussés par 65 000 spectateurs les coéquipiers de Stuart Hogg ont l’habitude de jouer des mauvais tours à nos bleus. Électrifiés par le son des cornemuses, les français n’y ont plus gagné depuis 2014. Le plus paradoxal est que le XV du Charbon ne semble pas progresser. Signant quelques coups d’éclats d’un tournoi à l’autre, en témoignent les victoires à Londres et Paris l’an dernier, cette équipe apparait trop moribonde par moment, et surtout trop dépendante de ses joueurs phares. La France a largement les moyens de gagner ce match, elle qui, bien que toujours en mesure de l’emporter à Édimbourg, finit bien souvent par s’y prendre les pieds dans le tapis.

The story of the Principality Stadium: The building giant it crippled and  the designs that reveal how different it almost looked - Wales Online
Le stade de Cardiff: le Puy du Fou version rugby

Les Bleus se rendront ensuite à Cardiff pour le compte de la quatrième journée. De quoi rappeler de bon souvenir à cette équipe qui était venue s’imposer avec caractère il y a 2 ans. Les gallois, composés d’une ribambelle de Johns, de Davis et de Williams (véridique ; environ 80% du peuple gallois possède ces noms de famille) avaient mal vécu le revers face à de jeunes tricolores. Du temps est passé, et le XV du poireau semble, à l’inverse de l’Irlande, en perte de vitesse. Il éprouve du mal à se régénérer, à retrouver de la fraîcheur, notamment depuis le départ de leur mythique sélectionneur Gatland. Il faut rajouter à cela que les Gallois, ardemment touchés par ce satanique Covid-19, n’ont que très peu joué depuis novembre. Néanmoins un déplacement au Millénium Stadium, stade converti en discothèque 5 minutes avant le coup d’envoi, reste périlleux. Même si les Gallois, au vu de leurs dernières sorties, ont plutôt tendance à finir aux fraises, il est toujours dangereux de faire les rigolos face à eux.

Enfin, en clôture du tournoi le XV de France recevra l’Angleterre pour un Crunch au sommet. Les anglais, que nous adorons détester (et réciproquement), font partie, avec l’Irlande et la France, des favoris pour le Grand Chelem. Forts de leur victoire en novembre face aux brutaux sud-africains, les anglais arriveront à Paris le couteau entre les dents. Même si privée de ses joueurs les plus capés, je pense à ce diable de Farrell et aux frères Vunipola, l’Angleterre se rendra à Paris en espérant remporter le tournoi. Car ce dernier match pourrait très bien faire office de finale pour les deux équipes. Aux français de faire le travail et de ne pas tomber dans le piège du chambrage (l’Angleterre est championne en la matière). En espérant entendre nos bleus dire Good game aux rosbifs, un sourire un coin avant d’aller soulever le trophée.

Des Anglais pas très fair-play ?
Des anglais visiblement déçus

Avec cette équipe on retrouve enfin la vraie ADN du rugby français ; le « french flair ». Ce rugby pétillant, frais et emballant, qu’on ne peut pas consommer avec modération. Un rugby pratiquement en voie de disparition depuis les années 2000. Un rugby que nous n’avons donc très peu connu nous les jeunes (sauf sur une ou deux percées de Fofana, sinon c’était assez rare). Un rugby fait d’espaces, de grandes courses et de chevauchées dantesques. Certes, mais un rugby quand même adapté aux exigences modernes. Un rugby de grandes envolées, mais programmé et « fordisé » un peu comme dans les usines John Deere. Tout y est calculé et prévu sur la chaîne de production. On y fabrique des engins de tonnages, des avants compacts à plus de 130 kilos sur la balance, mais aussi des machines manuelles plus légères et mobiles, assez utiles d’ailleurs pour débroussailler le trèfle, le chardon ou les roses. Bon fini de rire, cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas vu ce XV de France aussi emballant et séduisant. Pour autant, nous les frenchies nous restons des latins, ne l’oublions pas. Alors vous me direz qu’on s’en fout, certes ; mais on a beau être les meilleurs on reste quand même de sacrés nonchalants. En définitive, on peut très bien mener de 30 points à la mi-temps, on est capable de ne rien faire à l’entame du second acte et de se faire remonter comme des ânes en l’espace de 20 minutes. On est comme ça en fait, c’est dans les gênes. On a beau se dire, que la 2ème période va être tranquille, que l’équipe va gérer gentiment, on manque toujours de faire un infarctus entre la 58ème et la 75ème. Je n’arrive toujours pas à expliquer de manière rationnelle et scientifique comment on peut parfois être aussi transparent pendant une seconde période. Mais bon voilà, même si on tremblera encore souvent avec cette équipe, on ne peut qu’être optimiste, au vu de la qualité du rugby proposé.

Au final l’équipe de France se construit un peu comme une maison. Galthié et son staff ont premièrement coulé une bonne chape de béton en remodelant cette équipe de A à Z. Là où avant les fondations de la maison équipe de France étaient un peu casse gueule, le nouveau staff a décidé de tout détruire au marteau piqueur, quitte à devoir se séparer de joueurs plus expérimentés. Grand bien leur a fait, au bout de 2 ans, la baraque tient toujours debout et elle a plutôt fière allure. Après avoir posé de solides murs en vainquant les Anglais et les Irlandais, qu’ils n’avaient plus battus depuis belle lurette, les Bleus ont posé la charpente en se défaisant des Blacks en novembre. Il ne reste plus qu’à poser le toit, la cheminée et poser le crépis pour embellir le tout.

Pour cela il faut remporter le tournoi et pourquoi pas la Coupe du Monde dans 1 an à la maison. Mais bon, ça on n’y est pas encore. Alors je conclus, comme l’aurait fait un illustre commentateur que je n’ai pas connu faute d’être né un peu trop tard, en disant: « Allez les petits ».

Prêt pour 5 semaines de plaisir ?

3. Ethnies et religion(s): peut-on vraiment parler d’Une Afghanistan ?

Les principaux leaders de la résistance afghane ne sont pas parvenus à se mettre d’accord à la fin du régime communiste. Pour comprendre cet échec, qui ne tient pas seulement aux différentes aspirations individuelles et aux enjeux politiques, il faut adopter un point de vue d’ethnologue et tenter comprendre comment le « peuple afghan » est constitué.

L’Afghanistan n’est pas « une nation » au sens qu’on lui donne aujourd’hui. Certes, elle a des frontières et une capitale mais elle n’est pas une nation dans son sens spirituel. L’Afghanistan, comme le dit l’auteure Sylvie Gélinas (« Afghanistan : du communisme au fondamentalisme », 1997) est « une mosaïque de peuples d’origines diverses, de langues et de coutumes différentes ». On compte en effet plusieurs ethnies, parmi lesquelles les Pachtounes, les Tadjiks, les Hazâras, les Ouzbeks, les Turkmènes ou encore les Aymâqs.

Afghanistan, mode d'emploi — Le Club
La mosaïque ethnique afghane (source: Le club de médiapart)

Ethnies et « Quam »

Le groupement de référence des afghans n’est donc pas la nation, nous l’avons bien compris. Cependant, pouvons nous dire que tous les afghans se repèrent et se situent par rapport à leur ethnie ? Non, selon Olivier Roy. Il semblerait que la lecture purement ethnique soit fausse. Il faudrait selon lui, se référer à la quam, qui est un « groupe de solidarité dont le mode de constitution peut être certes ethnique, mais qui peut aussi avoir une base sociologique ». Cette quam est centrée sur un notable (le khan) et regroupe un nombre restreint de participants dans un aire géographique ou sociologique délimitée : quartier, vallée, village, groupe professionnel ou religieux, … Voilà qui rendrait notre compréhension du problème plus complexe. Car l’analyse de l’échec des négociations pourrait simplement mettre en lumière les jeux et les rivalités entre les différentes ethnies. Nous aurions là une lecture plus simple. Il n’en est rien car, comme nous l’avons expliqué, il subsiste une multitude de groupes. De plus, il n’y a pas de critère objectif de l’ethnie. Le niveau d’identification d’un afghan à son groupement ethnique est diverse : il peut se faire par la langue, la croyance, la culture ou par le territoire géographique. Il y a donc une certaine hétérogénéité. Cependant, certaines ethnies partagent des points communs, un territoire, une langue ou une conception religieuse, ce qui peut les pousser ou non à s’entendre. Il est donc extrêmement compliqué de trouver des compromis avec autant de diversité de groupements ; groupements qui n’ont ni la même taille, ni le même niveau d’identification et ni le même passé.

Cela dit, parmi la multitude de petites ethnies, Olivier Roy distingue les macro-ethnies, celles que nous avons cités précédemment (voir image). Celles-là sont plus puissantes de par le nombre d’Afghans qu’elles comportent. L’échec des négociations peut donc s’expliquer par le fait que ces grandes ethnies n’aient pas parvenues à trouver de consensus. On sait que les Pachtounes ont le contrôle du pays depuis longtemps (plus de deux siècles). Le PDPA (Parti communiste Afghan), au pouvoir de 1978 à 1992 était à majorité composée de Pachtounes. Quand en 1992 les cartes sont rebattues, les autres macro-ethnies vont aspirer à une place au sein des nouvelles institutions. C’est le cas des tadjiks et des ouzbeks. Et quand ces derniers, avec respectivement Massoud et Dostom, parviennent à jouer un rôle dans l’après régime soviétique, les Pachtounes vont se sentir léser. Finalement, même si la lecture macro-ethnique peut paraître hasardeuse, elle peut être révélatrice de la polarisation du conflit : d’un côté les ethnies du Nord, de l’autre les Pachtounes du Sud.

Posting a map for every country in the world. Day 1: Religious composition  of Afghanistan : r/MapPorn
L’islam en Afghanistan (source: reddit)

Islam: une religion, différentes conceptions

Ensuite, il convient de regarder au niveau de la religion qui est un autre paramètre clivant, autant sur les courants que sur les conceptions. La religion musulmane est la religion par excellence en Afghanistan. Pourtant, comme partout dans le monde musulman, il y a une division shiites-sunnites. Comme au Moyen-Orient, les sunnites sont majoritaires en Afghanistan. Il y a donc toujours des tensions entre les communautés, ce qui ajoute un paramètre de plus à la compréhension des problèmes. D’autant plus que le critère shiisme-sunnisme est un critère déterminant quant à l’aide extérieure qu’un parti pourrait recevoir. Par exemple, l’ethnie des Hazâras, localisée au centre-ouest du pays, est chiite (vert foncé sur la carte). Parlant la même langue que les iraniens et pratiquant le même islam, il est logique que le parti regroupant en majorité des Hazâras (le Hezb-i Wahdat) soit soutenu par l’Iran.

Il faut aussi considérer les différentes conceptions idéologiques au sein même d’une branche de l’islam. Certains partis, comme le Hezb-i islami, prônent un islam fondamental, capable de transformer radicalement et en profondeur la société. Leur idéologie est assez proche que celle des taliban ou que celle des groupes terroristes islamiques. Leur islam est donc assez réstrictif sur le plan des libertés individuelles. A contrario, un parti comme le Jamiat-i islami se montre plus modéré sur ses aspirations religieuses. Dans les territoires contrôlés par le Jamiat, les femmes possèdent plus de droits par exemple. En définitive, ces deux partis, menés par Hekmatyar (Hezb) et Massoud (Jamiat) sont radicalement opposés. Il n’est pas étonnant de les voir aussi opposés sur le plan militaire et politique. Il faut aussi rajouter à ce clivage quelques laïcs comme le général Dostom, et quelques minorités religieuses comme les hindous ou les chrétiens.  

Le rôle des ethnies, des quam(s) et des conceptions religieuses est extrêmement important pour comprendre les querelles qui ont opposé les différents partis de la résistance après le retrait des Russes. Ces paramètres-là sont à prendre en compte au même titre que les explications politiques et géopolitiques.

Sources:

Gélinas. S (1997). Afghanistan: du communisme au fondamentalisme

Roy. O (1988). Ethnies et appartenances politiques en Afghanistan

2. Afghanistan : De la résistance à la guerre civile – 1978 – 1994

Dans cet article nous allons revenir sur le début des hostilités en Afghanistan. A travers la période 1978-1994, nous allons analyser le passage d’une guerre contre un occupant étranger à une guerre civile. Nous relaterons ensuite de la difficulté de trouver de la stabilité après le retrait des russes. Cette situation dramatique favorisera ensuite l’émergence du mouvement des taliban, avènement que nous relaterons dans un prochain article.

L’année 1978 constitue sans doute le point de bascule en Afghanistan. Le gouvernement de Mohammed Daoud est renversé, et un régime d’inspiration soviétique est installé. Le PDPA, le parti communiste afghan, s’empare alors du pouvoir via un coup d’État. Pourtant, des dissensions internes fragilisent le nouveau régime. Deux gouvernements se succèdent (dans la violence) en l’espace d’un an et demi, celui de Taraki et de Amin. Ces rivalités internes se combinent à l’impopularité croissante du pouvoir communiste. Il faut comprendre que bien avant l’intervention des Russes, la population se montre hostile au régime. L’ensemble des purges effectuées et des réformes imposées n’ont pas satisfait les afghans ; pire elles ont marqué une première opposition au nouvel ordre. L’arrivée des Russes en 1979 s’explique officiellement par la volonté de Moscou d’aider le PDPA à contrôler le pays, alors en proie aux révoltes populaires. Pourtant l’intervention russe vise à écarter Amin du pouvoir, lui qui refuse l’aide de Moscou, et qui donc cherche à conserver une certaine autonomie. Il est assassiné et remplacé par Karmal, qui n’a pas d’autre choix que d’accepter l’intervention militaire de l’URSS. Les russes sont donc en Afghanistan pour ramener le calme, afin de mener à bien les réformes communistes et de posséder une base avancée dans la région.

Intervention et retrait des russes

L’arrivée des Russes est donc un tournant. Ce tournant peut se comprendre en 2 explications: l’une militaire et l’autre géopolitique.

Premièrement, l’intervention russe va matérialiser et concentrer la résistance afghane. Je m’explique, l’arrivée concrète d’une puissance étrangère sur le sol afghan peut être, et à juste titre, perçu comme l’élément déclencheur. L’arrivée de l’Armée Rouge est véritablement vécue comme une invasion. Même si on peut penser que le coup d’État de 1978 a été fomenté par l’URSS, l’invasion Russe devient le point de départ de la guerre. Là où les conflits inter-afghans entre le régime et son opposition pouvaient s’apparenter à des jeux politiques classiques, l’invasion soviétique va briser ce clivage et va concentrer contre elle toute une série d’acteurs différents. On peut dès lors dire qu’elle matérialise les prémices de la rébellion (rébellion déclenchée par les coups d’état de 1978) du fait de la concrétisation très rapide de la résistance afghane.

Deuxièmement, cette invasion est un tournant dans le contexte géopolitique du moment. Sur fond de guerre froide, le coup d’État de 1978 et l’arrivée des russes mettent l’Afghanistan au centre des jeux géopolitiques de l’époque. La guerre contre les russes surgit dans une période de regain des tensions entre les États-Unis et l’URSS. Additionnée à la révolution en Iran et à la crise des missiles européens de 1981, elle constitue une nouvelle escalade de pressions entre les deux puissances. L’Afghanistan, pour des raisons stratégiques ne doit pas longtemps rester dans le giron de Moscou: les américains vont alors jouer un rôle très important dans l’armement des Moudjahidines, les fameux chefs de la résistance.

Guerre d'Afghanistan (1979-1989) — Wikipédia
Soldats de la résistance afghane (source: wikipedia)

Les russes qui envahissent alors l’Afghanistan ne se doutent pas de la résistance qu’ils vont rencontrer. Pendant dix ans, ils vont se heurter aux combats acharnés des Moudjahidines afghans, parmi lesquels on peut retrouver Hekmatyar et Massoud, personnages charismatiques que nous retrouverons plus tard. Cette guerre sera sanglante et longue, 90 000 morts côté Moudjahidines et 26 000 côté Russes. Elle aura eu le bénéfice d’entraîner les « alliances » des différents puissants chefs locaux contre le PDPA et l’URSS. Je mets le terme alliances entre parenthèses car ce ne sont ni des alliances idéologiques ni des alliances de long terme. Le futur nous montrera que dès le départ des Russes, les vieilles querelles ethniques et idéologiques ressurgiront.

L’arrivée de Gorbatchev au pouvoir en URSS et l’application de ses réformes, notamment la Glasnost (réforme politique), vont jouer dans le retrait des Russes de l’Afghanistan. En effet, l’URSS n’est plus aussi hégémonique qu’auparavant. Elle subit de graves troubles au sein de ses pays satellites et n’est plus la grande puissance économique d’antan. Son autorité morale n’est plus, et les valeurs qu’elle défendait auparavant sont bafouées. De plus, les russes piétinent en Afghanistan, leurs dépenses sont énormes et ils perdent de la crédibilité. Leur retrait, en février 1989, paraissait inévitable. Il est le reflet de la crise interne en URSS : crise morale et économique. De plus, ce départ est annonciateur de la chute prochaine de l’URSS. Les russes quittent donc l’Afghanistan en laissant derrière eux un pays meurtri par dix années de guerre.

Pourquoi l'URSS a-t-elle envoyé des troupes en Afghanistan? - Russia Beyond  FR
Des troupes soviétiques quittant d’Afghanistan (source: Russia Beyond)

Fin du régime communiste

Le retrait des Russes ne marque pas pour autant la chute du régime communiste en Afghanistan. Le régime du président Nadjibullah, au pouvoir depuis 1986 (il avait remplacé Karmal), est toujours soutenu moralement et financièrement par l’URSS. Cependant l’URSS n’a plus les moyens de subvenir aux besoins de ses pays satellites. En Afghanistan, après la guerre, le régime ne contrôle que les grandes villes. La majorité du pays est sous domination des grands chefs de la résistance. C’est à ce moment que les choses prennent une tournure différente.

On va passer d’une guerre contre une puissance étrangère à une guerre civile. Au lendemain de la chute de l’URSS, le régime de Nadjibullah s’effondre. Affaibli de l’intérieur et acculé au nord et au sud par les Moudjahidines, le président capitule en tentant de s’enfuir. Le 16 avril 1992 marque la fin de la période soviétique en Afghanistan. Ce renversement entérine les efforts de l’ONU pour une transition en douceur. En effet, les adjoints du président déchu ont directement pris contact avec Massoud et Hekmatyar, dont les troupes sont à quelques encablures de Kaboul. Les deux leaders sont à la tête de deux partis, le Jamiat pour Massoud et le Hezb pour Hekmatyar. Ces deux partis sont extrêmement puissants; ils disposent de ressources militaires importantes et sortent auréolés de la guerre contre les soviétiques. Le sort de l’Afghanistan va donc se jouer sur l’entente ou non des vainqueurs issus de la résistance. Au même moment des pourparlers ont lieu à Pechâwar entre les partis de la résistance (9 exactement). Tandis que ces pourparlers patinent, les différentes troupes rentrent dans Kaboul. Celles du général Massoud occupent le quartier nord et celles de Hekmatyar, les quartiers sud. On dénombre aussi quelques milices chiites et des patrouilles du général Dostom (ancien leader de l’armée du régime communiste). La peur que l’un des camps ennemis ne prenne le pouvoir est prégnante. Le climat est tendu, surtout entre Massoud et Hekmatyar qui sont désormais les plus à même de s’emparer du pouvoir.

Afghanistan : le commandant Massoud, entre mythe et réalité
Commandant Massoud (source: france tv)

Accords de Pechâwar et instauration de l’État Islamique d’Afghanistan

Les pourparlers finissent par déboucher sur les accords de Pechâwar, le 24 avril 1992. Ils instituent la création d’un gouvernement provisoire (de 4 mois) où seront représentés les neuf partis de la résistance. La présidence sera assumée par M. Mojaddidi, un Pachtoune d’opinion modéré qui n’est pas inquiétant tant sa formation politique est faible militairement. Hekmatyar est nommé Premier Ministre tandis que Massoud devient le Ministre de la Défense. Ces accords instaurent la création de l’État Islamique d’Afghanistan, qui sera proclamé le 28 avril. Pour autant la situation n’en est pas moins apaisée. La 1ère bataille de Kaboul éclate entre les différentes factions. On assiste alors à une recomposition des alliances, voire même à une polarisation autour des deux leaders charismatiques. Le général Massoud se veut en rassembleur des minorités du Nord (ouzbeks, tadjiks et turkmènes) et s’allie à contre cœur avec Dostom (ils se sont battus lors de la guerre Moudjahidines-URSS) pour former ce qu’on appellera plus tard l’Alliance du Nord, tandis que Hekmatyar conserve le leadership des Pachtounes du Sud.

Hekmatyar, le "Boucher de Kaboul" bientôt de retour au pays
Gulbuddin Hekmatyar (source: RTBF)

Échec de la transition pacifique du pouvoir

La période est caractérisée par une instabilité chronique. Premièrement, il est impossible pour le pouvoir central de s’imposer sur l’entièreté du territoire. Il faut savoir que la notion « d’État » est assez fragile en Afghanistan. Il n’y a pas de longue tradition étatique et les administrations locales sont dirigées par les chefs de guerre. L’État et son administration ne touchent qu’en surface la société afghane: ils n’ont ni la capacité de légiférer sur l’ensemble du territoire ni le monopole de la violence légitime. Le gouvernement provisoire, même s’il est accepté par les partis, n’est pas en mesure d’atténuer les rivalités entre chefs ; il n’a aucun pouvoir.

Deuxièmement, comme prévu par les accords de Pechâwar, ce gouvernement est provisoire. En juin, après 2 mois d’exercice, le président Mojaddidi accepte, à contre cœur lui aussi, de remettre ses pouvoirs au professeur Rabbani, membre du Jamiat et désigné pour prendre sa suite. Cette prise de pouvoir va cristalliser les alliances et amener vers une bipolarité de la scène politique en Afghanistan, d’autant plus que le pouvoir de Rabbani est sans cesse remis en cause par ses opposants. Le gouvernement intermédiaire qui est alors crée ne sera pas plus stable que le gouvernement provisoire; soumis au coup du boutoir des belligérants il ne sera pas capable lui aussi de ramener la paix.

Pendant deux ans on va donc assister à l’impossibilité de la mise en place d’un pouvoir stable. L’exemple parfait de cette instabilité est la nouvelle alliance entre Dostom et Hekmatyar, auparavant ennemis. Les différentes factions n’ont pas la force nécessaire pour prendre le dessus. Il serait extrêmement intéressant mais fastidieux de relater ici les différents mouvements de succession et de renversement. Il faut retenir que la situation est extrêmement critique et que l’instabilité règne. Schématiquement, le sud et le nord s’oppose et Kaboul est l’épicentre : chaque formation se bat pour prendre le pouvoir à l’autre, sans avoir la force nécessaire pour y parvenir. Kaboul est prise, puis reprise, détruite, le tout en l’espace de deux ans et au cours de cinq batailles qui vont la ravager. Le moment est donc propice à l’ascension d’un nouveau groupe, plus puissant et plus « légitime » : les taliban. Avant de décrire l’avènement des taliban, nous allons essayer de comprendre les raisons les plus profondes de l’échec de la transition pacifique après la guerre contre l’URSS.